Prix du Meilleur Documentaire, Prix du Public, Berlinale 2019.

Le réalisateur Suhaib Gasmelbari s’inspire d’un cinéma qui n’entretient pas de rapport de séduction malsaine avec le spectateur, qui fait confiance à son regard. « Par exemple, je n’ai pas mis de musique, ce qui est complètement intentionnel. J’ai préféré chercher la musique interne du film. Je voulais un film fidèle à ses personnages, à leur rythme, à la vitesse de leur pensée, de leurs déplacements, de leur façon d’être au monde. ..Je voulais m’inscrire dans le regard de ces cinéastes montreurs de films. Si on suit les infos au Soudan, il y a chaque jour des nouvelles qui poussent à la dépression – hier, des jeunes ont été massacrés et jetés dans le Nil. J’ai essayé d’évacuer cette part anxiogène de la réalité soudanaise qui peut rendre fou. Je ne voulais pas faire honneur au pouvoir en lui consacrant du temps de mon film, je voulais préserver la lenteur contemplative de mes personnages, leur espace de réflexion, leur bulle de dignité. Quand Ibrahim raconte l’épisode où il a été arrêté, il ne décrit pas la torture mais les détails de la cellule où il était enfermé … explique le metteur en scène.
Talking About Trees est consacré à quatre personnes qui ont subi tout le poids et les entraves d’un état répressif. « Ces personnes, et mon film, essayent de repousser la présence de cet état hors champ, non par peur, mais pour ne pas lui donner trop de prise et d’importance. Je ne voulais pas faire un film “sur la situation au Soudan”, mais la révéler par petites touches en montrant son aspect kafkaïen. Aussi, j’ai mis peu d’indications politiques ou historiques sur le Soudan, me gardant de toute dénonciation frontale ou larmoyante. Déjà, rien que le geste de faire ce film, c’était s’engager, combattre. On filmait sans autorisation, on jouait avec les doutes du pouvoir et de la police, on restait flou sur les intentions du film. … Exaspéré, le peuple soudanais a réalisé que les puissants réagissent seulement aux enjeux économiques et non aux atrocités commises par un dictateur. La réalité soudanaise a alors évolué grâce au courage de millions de femmes et d’hommes et non par les milliers de reportages des médias internationaux », dénonce Suhaib Gasmelbari.
Un montage français : Le réalisateur a travaillé avec la monteuse française Nelly Quétier. « C’était une vraie chance, parce qu’on a le même goût pour un cinéma patient, contemplatif. Parfois, elle réduisait ma tendance à une contemplation excessive par des ajustements toujours très précis. C’était magnifique parce que Nelly est tout de suite tombée “amoureuse” des quatre personnages qu’elle voulait tous dans le cadre mais ça, c’était difficile ! Et puis, on a tout de suite senti que ce film n’aurait pas besoin de musique mais d’écoute. La phase de montage a été une confirmation de mes intuitions au tournage. Il était important de les regarder regarder. Certains spectateurs ont remarqué que je filmais beaucoup le crâne d’Ibrahim, c’est parce que je voulais me positionner dans la ligne de son regard à lui. » allociné